Par Romain Rougé – Lagrandeparade.com/ Frère(s) de Clément Marchand est une ode à la fragilité de l’amitié, broyée sur l’autel d’un monde où le lien humain se tarit parfois inexorablement.
Tout a une fin, même l’amitié. C’est ce que nous raconte Frère(s), pièce dans laquelle Maxime et Emile issus de milieux très différents, se rencontrent en préparant leur CAP cuisine. Très vite inséparables, les deux compères vont grandir ensemble et affronter la brutalité du monde, jusqu’à abîmer leur lien qu’ils pensaient évidemment indéfectible.
Les graines de ce déclin amical vont être intelligemment semées tout au long du récit, faisant de nous les témoins d’une usure progressive. Telle les Parques qui déroulent ou tranchent le fil mystérieux du destin, l’amitié qui unit Maxime et Emile a cette aura mystique et imprévisible. Des figures importantes de leurs vies commencent à disparaître, les fragilisant un peu plus, comme Bernard qui s’avérait indispensable « pour supporter cette vie étrange qu’on s’inflige ». Le sous-texte de Frère(s) aurait sûrement pu être « Un seul être vous manque est tout est dépeuplé ». Une amitié qui deviendra une parenthèse, comme l’isolement du S dans le titre, mais dont seule persistera l’âme d’un chemin parcouru ensemble.
Entre les lignes, l’auteur n’hésite pas à appuyer l’aspect plus politique des relations humaines, de la dévalorisation de filières professionnelles (pourtant si nécessaires) jusqu’aux classes sociales incompatibles. Malgré tout, la pièce portée par des comédiens tout en justesse, touchants et graves à la fois, est aussi lumineuse que mélancolique, voire par moments délicieusement hilarante : le laïus sur la gastronomie bobo parisienne vaut à lui seul son pesant de caramel mou… On dit oui à la simplissime et succulente cuisine italienne ! Un savant dosage tragicomique qui fait aussi l’intérêt et la force de cette jolie pièce.
Soulignons enfin l’ingénieuse mise en scène qui rend ce moment théâtral particulièrement affectueux et réaliste : les souvenirs se matérialisent avec les apparitions des personnages perchés sur un podium, éclairés tels des anges gardiens. Des consciences actives qui raniment la flamme du souvenir, l’empêchent de s’éteindre et permettent à l’ami absent « d’être toujours là ». Poignant.
Frère(s)
Texte et mise en scène : Clément Marchand?
Avec Jean-Baptiste Guinchard et Guillaume Tagnati?
Musiques : Patrick Biyik?
Chorégraphie : Delphine Jungman
?Lumières Julien Barrillet?
Scénographie : Natacha Markoff?
Costumes Juliette du Pont de Romémont
Co-Production : Compagnie du Chemin Ordinaire, ACME, Pony Production
Avec le soutien de Villes de Avon (77), Levallois (92) et Boulogne-Billancourt (92)
Dates et lieux des représentations:
– du 7 au 29 juillet 2023 – Relâches : 10, 17, 24 juillet à 12h00 à la Scala Provence – Festival AVIGNON OFF 2023
