Par Imane Akalay – Lagrandeparade.fr / le plateau est immaculé comme une mer de glace, les murs sombres comme une nuit sans lune. Le positionnement central de l’orchestre en surplomb de la scène donne le ton : Tatiana Julien s’abstrait de la séparation classique des rôles ; les musiciens sont des performers à part entière dans cet opéra chorégraphique.
Des hommes et des femmes avancent dans le chaos d’une musique aux sonorités d’avalanches et de blizzard. Leurs gestes sont erratiques. Ils titubent, glissent et tombent parfois, s’affolent en fuites saccadées dans un environnement que l’on devine hostile. Si leurs individualités désespérées priment parfois, ils marchent néanmoins ensemble dans une même direction, forment un groupe solidaire, s’entraident pour la survie. Fuite ou conquête ? Guidés par l’ermite joué par le contre-ténor Rodrigo Ferreira, ils migrent à la recherche d’un lieu hospitalier.
A mesure que la horde avance et se renforce de nouveaux arrivants, la gestuelle et la musique se font plus fluides, harmonieuses. Dans une marche collective dont la cohésion s’affirme, les danseurs avancent ensemble, tournent en un grand cercle, de plus en plus rapidement. La communauté en formation tente-t-elle de définir des rites ? Aspire-t-elle à identifier une divinité ? Découvre-t-elle l’expérience mystique ? Les danseurs en tournoyant frappent dans de grandes plaques métalliques dont les résonnements rappellent ceux de gongs tibétains. Au centre, l’un d’eux improvise une danse soufie. Dans leur quête spirituelle, tous dansent jusqu’à l’épuisement.
Au deuxième acte apparaît la Sybille, doublement incarnée par le chant de la Soprano Léa Trommenschlager et par la danse de la chorégraphe, Tatiana Julien. Elle captive, enchante. Elle est la figure spirituelle que la communauté est prête à recevoir. Tous, danseurs, musiciens, chef d’orchestre et ermite, ont rejoint la scène et l’entourent. Tous dansent dans la joie. L’espace est apprivoisé, la communauté est fondée.
Une fois de plus, la production de Tatiana Julien étonne, bouscule, et tient en haleine. La composition musicale de Pedro Garcia-Velasquez, oscillant à la limite de la mélodie et du chaos à l’image des ambiances qu’elle souligne, déstabilise tout autant. L’imbrication des rôles des danseurs, des musiciens et des chanteurs sans hiérarchisation des modes d’expression artistique s’abstrait des logiques traditionnelles et séduit. Au-delà, en évoquant la conquête du feu, la sédentarisation, l’avènement du religieux et les guerres de domination, cette allégorie de la construction des sociétés humaines qui mêle les références antiques à l’universel, le profane au mystique, cristallise une interrogation profonde sur l’humanité, sur le rôle destructeur de l’homme face à l’environnement, et face à lui-même, indissociable de l’évolution.
Initio [live] – Ope?ra chore?graphique pour 5 danseurs et 2 chanteurs, ensemble musical et e?lectronique
Par La C’Interscribo | Tatiana Julien & Le Balcon | Pedro Garcia-Velasquez
Conception : Tatiana Julien et Pedro Garcia-Velasquez
Mise en sce?ne, chore?graphie : Tatiana Julien
Composition musicale : Pedro Garcia-Velasquez
Livret : Alexandre Salce?de
?Direction musicale : Maxime Pascal
Projection sonore : Florent Derex?
Lumie?res : Kevin Briard?
Costumes : Pascale Lavandier
?Re?gie ge?ne?rale et sce?nographie : Myrtille Debie?vre
Orchestre : Le Balcon
Re?alisation costume : Atelier Chaillot – The?a?tre national de la danse, Chantal Bachelier (Espace des Arts)
PERSONNAGES / INTERPRE?TES
L’ERMITE Rodrigo Ferreira (contre-te?nor)? – L’HOMME FRE?NE?TIQUE Benjamin Forgues (danseur)?- LA FEMME RE?VOLTE?E Christine Ge?rard (danseuse)- ?LA DANSEUSE Brigitte Asselineau (danseuse) – ?LE JEUNE HOMME FRAGILE Yoann Hourcade (danseur)?- LA SIBYLLE Tatiana Julien (danseuse)- Le?a Trommenschlager (soprano)?- LES MUSICIENS Valentin Broucke (violon), He?loi?se De?ly (basse), Juliette Herbet (saxophones), Askar Ishangaliyev (violoncelle), Ghislain Roffat (clarinettes) et Axel Rigaud (synthe?tiseurs)?- LE CHEF D’ORCHESTRE Maxime Pascal?LA CITE? Le chœur amateur local
Crédits :Photo © Nina Flore Hernandez
Dates et lieux des représentations:
– CRE?ATION : du 29 novembre au 2 de?cembre 2017 – Chaillot – The?a?tre national de la danse – PARIS
– Le 23 janvier 2018? – Ope?ra de Dijon – Festival Art Danse, CDC Dijon
A lire aussi :
La Mort et l’Extase : une fresque audacieuse et troublante sur la douleur et la jouissance

