Par Julie Cadilhac – Lagrandeparade.com/ Le Monde Renversé? C’est une création théâtrale du collectif féministe Marthe autour du mythe de la sorcière mais aussi des théories économiques de Marx. Usant tout à la fois de nourritures intellectuelles et de références populaires, quatre comédiennes se livrent à une démonstration aussi désopilante que grave de ce que le monde patriarcal fait subir depuis le moyen-âge aux individus nés avec deux chromosomes sexuels identiques.
Armement des nez de sorcière, dissection d’un corps par la « confrérie du phallus », examen gynécologique sanglant, utilisation du tire-lait, procès en mauvaise et due forme d’une pauvre femme accusée de sorcellerie…le collectif Marthe use d’images percutantes et de théories intelligentes pour rappeler qu’il n’y a pas de libération possible des femmes tant que le capitalisme existera. On en ressort content d’avoir croisé des artistes pertinentes mais davantage préoccupé sur la concrétisation effective de l’égalité des deux sexes. Rencontre avec ces quatre filles pour en savoir un peu plus…
[bt_quote style=”default” width=”0″]Nous pensons que les fe?minismes sont tre?s vivants, telles ces figures de sorcie?res qui nous ont accompagne?es pour “Le monde renverse?”, elles agissent dans l’ombre, sous couvert, et tiennent les cle?s des me?tamorphoses.[/bt_quote]
Pourriez-vous d’abord nous pre?senter votre collectif? Comment a-t-il e?clos?
En premier lieu nous sommes un collectif d’actrices, constitue? de Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aure?lia Lu?scher et Itto Mehdaoui. Nous nous sommes toutes quatre rencontre?es a? Saint-Etienne lorsque nous e?tions a? l’Ecole de La Come?die entre 2011 et 2015. Le Collectif Marthe n’aurait peut-e?tre pas vu le jour sans le travail mene? pour cre?er notre premier spectacle “Le monde renverse?”. C’est avant tout cette recherche qui nous a re?unie et qui nous tenait a? coeur. A ce moment-la? de?ja?, nous avions noue? des liens avec Guillaume Cayet (dramaturge) et Maurin Olle?s (regard extérieur) par exemple, il e?tait clair que pour faire un travail colle?gial, il fallait faire e?quipe. Puis, en cours de cre?ation du “monde renverse?”, l’ide?e a germe? de nous fonder en collectif pour saisir aussi comment nous avions travaille?, s’il e?tait possible d’envisager une suite ensemble, comment nous pouvions faire de notre processus de cre?ation (collectif, horizontal), qui nous paraissait d’ailleurs chaotique, une sorte de me?thodologie de travail.
Nous avons aussi e?te? soutenues par le dispositif d’insertion Cluster de Pre?misses Production qui nous permettait d’avoir un suivi, une personne avec nous pour toute la gestion administrative, Camille Fabre, c’e?tait une occasion a? saisir!
De?sormais nous e?largissons le cercle, pour permettre une certaine souplesse dans le travail, que chacun des membres s’y sente libre de jongler entre notre collectif et d’autres envies, et puis l’ide?e est joyeuse d’e?tre rejoint par de nouvelles personnes comme par exemple une e?quipe de technicien.ne.s, de nouvelles come?diennes, ou me?me de nouveaux savoir-faire, ce qui sera le cas pour notre prochaine cre?ation. Notre travail est impensable dans la dure?e si nous n’imaginons pas des relais, des chevauche?es, des va-et-vient.
Quelles en sont les aspirations esthe?tiques et ide?ologiques principales? Quel the?a?tre entend-il de?fendre?
C’est une question a? laquelle peut-e?tre chacun.e d’entre nous re?pondrait diffe?remment et c’est bien ce qui fait l’e?trangete? de notre collectif, me?me si e?videmment nous partageons des ide?es communes. Par exemple nous tentons pour notre prochaine cre?ation de re?ite?rer la recherche des liens possibles entre ouvrages the?oriques et corps. C?a c’est un de nos grands amusements: passer des mois a? lire, chacun.e de notre co?te?, puis des heures ensemble, puis on va tirer de ces lectures un corpus de textes, les de?sosser ou pluto?t en extraire l’essence propice a? nous donner matie?re a? jouer. Voila? un des grands points.
Ensuite, il est clair que les lectures qui nous ont rassemble?es et berce?es lors de la cre?ation du “monde renverse?”, en commenc?ant par Caliban et la sorcie?re de Silvia Federici, en passant par les ouvrages de nombreuses fe?ministes ame?ricaines des anne?es 70 et beaucoup d’autres, ceci a ouvert un champ de recherches et de luttes infini. Depuis, nos vies ont change? en fait, c’est be?te mais c’est vrai. Cette de?marche est impossible a? clore sous pre?texte que nous aurions fait un spectacle au bon moment, qu’il peut donner l’illusion de suffire en e?tant programme?. Il y aurait tellement de choses a? dire et a? creuser concernant les questions de genre, d’exclusion, de discrimination pour sortir des discours simplistes d’e?galite? ou de parite? institutionnelles. Poursuivre notre recherche sur des questions fe?ministes, ce n’est me?me pas quelque chose que nous nommons comme fondamentale, simplement nous le faisons, ensemble, c’est notre e?vidence, et cela donne beaucoup d’ide?es et de forces.
[bt_quote style=”default” width=”0″]Nous tentons pour notre prochaine cre?ation de re?ite?rer la recherche des liens possibles entre ouvrages the?oriques et corps. C?a c’est un de nos grands amusements: passer des mois a? lire, chacun.e de notre co?te?, puis des heures ensemble, puis on va tirer de ces lectures un corpus de textes, les de?sosser ou pluto?t en extraire l’essence propice a? nous donner matie?re a? jouer. Voila? un des grands points.[/bt_quote]
Dans votre spectacle, vous multipliez les re?fe?rences culturelles… des plus hautement intellectuelles aux plus triviales et populaires…ce grand e?cart s’ave?re…ne?cessaire a? votre processus cre?atif? est-ce ce qui vous semble le plus efficace pour faire passer un message?
Tant mieux si un message passe! Celui de pouvoir s’amuser en s’appropriant des sujets et des proble?matiques pluto?t sombres. Cela nous a demande? du temps avant de pouvoir glisser de la cole?re ou de la stupeur a? l’amusement, la joie, au de?lire. C’est peut-e?tre ce qui a e?te? le plus surprenant a? re?aliser une fois que “Le monde renverse?” tenait un peu debout, c’est qu’il nous demandait et nous donnait en retour de l’e?nergie. On ne l’a pas compris tout de suite. En le faisant, nous avons e?te? saisies par beaucoup de lectures qui re?voltent, mais parce qu’elles e?clairent aussi soudain un e?tat du monde. Donc l’ide?e de passer un message, c’est presque intrinse?que a? notre processus de travail puisque nous cherchons a? mettre au plateau des e?crits the?oriques, donc des recherches, des pense?es avec des proble?matiques propres et des points de vue. Par contre, le fil de ces pense?es est, dans ce spectacle, constamment effiloche? par nos propres re?flexions, souvenirs, jeux etc. Pour nous c’est en toute logique que nous pouvons passer d’Esmaralda du Bossu de Notre-Dame a? Michel Foucault par exemple. C’est ce que nous comprenons intimement d’Esmaralda et de Foucault qui passe dans nos corps, et non pas la ve?ritable fable de Walt Disney ou la pense?e pointue d’un des plus grands philosophes franc?ais du XXiem. Lorsque nous lisions les travaux de Barbara Ehrenreich et Deirdre English sur la de?possession du savoir me?dical traditionnellement de?tenu par les sages-femmes par exemple, et que l’une d’entre nous se souvenait d’une visite traumatisante chez un.e gyne?cologue qui se solde par une prescription de pilule a? laquelle nous ne comprenons rien, la? tout prenait un sens. Dans nos corps me?me parfois c’e?tait violent d’enfin comprendre toutes les bre?ches par lesquelles l’Etat s’est faufile? au cours des sie?cles pour nous « ge?rer ». C’est ce frottement constant auquel nous avons e?te? confronte?es, que nous avons voulu rendre visible.
[bt_quote style=”default” width=”0″]Lorsque nous lisions les travaux de Barbara Ehrenreich et Deirdre English sur la de?possession du savoir me?dical traditionnellement de?tenu par les sages-femmes par exemple, et que l’une d’entre nous se souvenait d’une visite traumatisante chez un.e gyne?cologue qui se solde par une prescription de pilule a? laquelle nous ne comprenons rien, la? tout prenait un sens. Dans nos corps me?me parfois c’e?tait violent d’enfin comprendre toutes les bre?ches par lesquelles l’Etat s’est faufile? au cours des sie?cles pour nous « ge?rer ». C’est ce frottement constant auquel nous avons e?te? confronte?es, que nous avons voulu rendre visible.[/bt_quote]
Quel a e?te? le premier de?clencheur de la pie?ce « Le monde renverse? »? … La lecture de l’ouvrage de la chercheuse ame?ricaine Silvia Federici « Caliban et la Sorcie?re »?
A? l’origine, l’ide?e de faire un spectacle sur les sorcie?res est partie de l’une d’entre nous. Clara avait une intuition qui l’accompagnait depuis quelques temps, puis cette intuition s’est concre?tise?e et totalement partage?e a? partir du moment ou? il a e?te? clair que nous nous retrouvions toutes les quatre autour de ce sujet. Ce n’est pas simple a? expliquer mais c’est un peu comme si il y avait eu un processus de reconnaissance autour de ce mot, de ce gouffre : « sorcie?re ». Il y avait une e?vidence a? imaginer autour, presque comme un pre?sage, un pacte. Nos envies, nos imaginaires ont vite e?te? foisonnants, denses.
Paralle?lement a? ce bouillonnement de de?sirs, nous avons de?couvert Caliban et la sorcie?re, qui avait e?te? publie? dans sa version franc?aise deux ans auparavant. Nous en avons fait une lecture passionnante, a? voix haute, un e?te? en Bourgogne. Nous e?tions alors totalement chamboule?es par ce qu’on de?couvrait. Nous retraversions des sie?cles d’histoire, des sie?cles d’oppression syste?matique des femmes ou? les me?mes rouages du syste?me patriarcal se remettent perpe?tuellement en place. Le choc a e?te? violent, nous e?tions face a? des faits jamais ou tre?s peu e?nonce?s, beaucoup de choses s’e?clairaient, faisaient sens. L’origine de certains poids, comportements, carcans mentaux commenc?ait a? se de?voiler. Nous sommes tombe?es d’accord sur le fait que Caliban et la sorcie?re serait notre socle, une base solide sur laquelle se fixer.
Comment s’est conc?u ce “Monde Renverse?”? A partir d’improvisations autour de textes? de the?mes? de situations?
Il est vrai qu’apre?s avoir de?cide? de partir de Caliban, il nous fallait re?soudre la question de faire the?a?tre de ce “pave?”. Comment porter au plateau une parole tellement the?orique et historique ?
Nous nous sommes beaucoup appuye?es sur les personnages re?els qui e?mergeaient de l’ouvrage, toute une galerie de figures qui ouvraient sur un imaginaire tre?s fort, des projections, des fantasmes… Ainsi revenaient souvent dans nos discussions l’envie de repre?senter des luttes paysannes, des he?re?tiques, un serf et un bailli, une sage-femme, un inquisiteur, une forgeronne, Henri II, Rene? Descartes, Thomas Hobbes, Jean Bodin ou Jacques Sprenger (tout deux de?monologues du de?but de la Renaissance), mais aussi des penseurs contemporains comme Karl Marx et Michel Foucault. De la? sont ne?s des corps, des personnages, souvent masculins, qui nous ont permis de transcender un peu ce mate?riel universitaire que nous offrait Silvia Federici.
Il nous a fallu inventer une fable qui soutiendrait la re?flexion politique sous-jacente. Nous avons pris pour fil rouge l’histoire et la vie d’une figure de femme traversant les sie?cles. Nous avons appele? cette femme Marthe, en re?fe?rence a? un pre?nom qui revenait tre?s souvent dans les listes d’accuse?es de sorcellerie des archives de proce?s de l’e?poque. Nous avons e?crit les sce?nes du spectacle a? cinq, Guillaume et nous quatre, beaucoup travaille? a? partir d’improvisations, a? partir de petits « exercices » tre?s simples. Un des tout premiers par exemple a e?te? de recenser les sorcie?res qui habitaient nos enfances respectives, de lister toutes ces figures, ces souvenirs, puis d’en faire le re?cit au plateau. Nous avons e?galement travaille? a? partir de nos histoires intimes, de ce qui nous construit aujourd’hui en tant que femmes : notre rapport a? nos corps, nos peurs, nos empe?chements, nos ve?cus concernant la me?decine, la gyne?cologie… C’est ce partage de nos expe?riences qui a, a? la fois cre?e? le « nous » de notre collectif, et nos partitions dans le spectacle.
[bt_quote style=”default” width=”0″]Comment porter au plateau une parole tellement the?orique et historique ? Nous nous sommes beaucoup appuye?es sur les personnages re?els qui e?mergeaient de l’ouvrage, toute une galerie de figures qui ouvraient sur un imaginaire tre?s fort, des projections, des fantasmes… Ainsi revenaient souvent dans nos discussions l’envie de repre?senter des luttes paysannes, des he?re?tiques, un serf et un bailli, une sage-femme, un inquisiteur, une forgeronne, Henri II, Rene? Descartes, Thomas Hobbes, Jean Bodin ou Jacques Sprenger (tout deux de?monologues du de?but de la Renaissance), mais aussi des penseurs contemporains comme Karl Marx et Michel Foucault. De la? sont ne?s des corps, des personnages, souvent masculins, qui nous ont permis de transcender un peu ce mate?riel universitaire que nous offrait Silvia Federici. [/bt_quote]
Revenons aux questions aborde?es dans votre spectacle. La sorcie?re…pourquoi a-t-on attendu le moyen-a?ge pour l’inventer?… parce que c’est seulement a? ce moment-la? que la marchandisation des corps devient une re?alite? conscientise?e? La sorcie?re, c’est celle qui refuse d’entrer dans le moule du capitalisme? celle qui se distingue par son anormale improductivite??
La sorcie?re c’est souvent la « vieille femme », donc celle qui est de?tentrice d’un savoir, qui fait partie du vieux monde. Le capitalisme, a? ses de?buts, tente de se de?barrasser des re?fractaires, dont les vieilles femmes font partie de par leur statut marginal (non marie?e, sans enfants souvent, seule, ayant des connaissances me?dicinales). En effet elles sont improductives, puisque de?sormais infertiles, et anormales car ne re?pondant pas a? des crite?res de productivite?.
Il faut savoir que durant le haut Moyen-A?ge la figure de la sorcie?re existe de?ja? et est pluto?t positive, elle a un ro?le-cle? dans la cite?, elle sait soigner et permet la me?diation entre les sujets.
La figure diabolise?e de la sorcie?re s’invente a? la fin du Moyen Age et au de?but de la Renaissance, car c’est a? ce moment la? que le capitalisme commence a? succe?der au fe?odalisme, selon Silvia Federici. La marchandisation des corps devient alors pre?ponde?rante.
La grande e?pide?mie de peste noire du milieu du XIV e?me sie?cle est un e?ve?nement majeur, qui va mener a? une grande vague de politique nataliste et de?mographique. Les masses de population de?cime?es par la peste ou bien par les grandes famines devaient e?tre remplace?es au plus vite, il fallait faire nai?tre des travailleurs. Le corps des femmes est donc petit a? petit devenu la matrice de production de cette main d’oeuvre manquante.
[bt_quote style=”default” width=”0″]La figure diabolise?e de la sorcie?re s’invente a? la fin du Moyen Age et au de?but de la Renaissance, car c’est a? ce moment la? que le capitalisme commence a? succe?der au fe?odalisme, selon Silvia Federici. La marchandisation des corps devient alors pre?ponde?rante.[/bt_quote]
Il n’y a pas de libe?ration de la femme possible tant que le capitalisme existe…c’est bien l’essence me?me du message que vous voulez faire passer?
Nous pre?fe?rons pluto?t parler de libe?ration des femmes et non de la femme (entite? qui n’existe pas car il y a autant de femmes que d’individus, nous ne souhaitons pas essentialiser ce genre). Le ro?le des fe?minismes est de combattre les oppressions, et en effet ce qui cre?e ces rapports d’oppressions est un syste?me, comme l’explique Federici, qu’on appelle le capitalisme. C’est donc aussi contre lui, et ce qu’il instaure comme rapports d’oppression, que nous tentons de lutter. Federici met clairement en regard la naissance du capitalisme et les grandes chasses aux sorcie?res en Europe. De notre co?te? nous voulons appliquer cette re?flexion a? notre socie?te? contemporaine, qui de?coule de ces e?ve?nements, de ces corre?lations et ces sche?mas. Il nous semble e?vident que tant que nous n’inventerons pas une alternative au capitalisme sauvage qui devient la norme absolue, il est impossible de penser une libe?ration des femmes effective et pe?renne. Ce dont nous sommes certaines, c’est que cette libe?ration doit se faire en lien avec les marges, les trans, les racise?.e.s, les homos … et ne pourra se faire sans la de?construction d’un syste?me dont le fonctionnement profite de ces rapports de dominations.
[bt_quote style=”default” width=”0″]La grande e?pide?mie de peste noire du milieu du XIV e?me sie?cle est un e?ve?nement majeur, qui va mener a? une grande vague de politique nataliste et de?mographique. Les masses de population de?cime?es par la peste ou bien par les grandes famines devaient e?tre remplace?es au plus vite, il fallait faire nai?tre des travailleurs. Le corps des femmes est donc petit a? petit devenu la matrice de production de cette main d’oeuvre manquante.[/bt_quote]
…Pour que l’e?galite? hommes/femmes soit effective, il faudrait re?gler la question de la procre?ation .Doit-on espe?rer secre?tement qu’un jour des machines re?glent la question de la reproduction et que femmes et hommes puissent e?tre de?livre?s des re?alite?s d’horloge biologique, des rapports amoureux toujours cristallise?s dans la potentialite? de procre?er etc?
Vous soulevez une multitude de choses avec cette question! Ce qui nous a semble? tre?s inte?ressant, au fil de nos lectures, c’est ce rapport a? la procre?ation. Nous avons conscientise? de manie?re limpide que de tout temps, les femmes avaient eu a? composer avec leur fertilite?, qu’elles avaient acquis des connaissances lie?es a? leurs cycles, des connaissances concernant les plantes abortives. La pe?riode des chasses aux sorcie?res, l’obsession de l’Eglise et de l’Etat de contro?ler les corps et la fertilite? des femmes, dont parle Federici, a entrai?ne? une certaine disparition de ces connaissances empiriques et expe?rimentales, de cette autonomie des femmes concernant l’usage de leurs corps. Federici parle de certaines sectes he?re?tiques, ou? les femmes et les hommes e?taient sur un ve?ritable pied d’e?galite?, et ou? les rapports sexuels e?taient prohibe?s pour e?viter la reproduction, dans une optique fe?ministe. Il est inte?ressant de voir qu’aujourd’hui des collectifs fe?ministes se re?approprient les questions d’avortement par les plantes par exemple, re?inventent comment un avortement peut e?tre un e?ve?nement aussi intense, et peut-e?tre aussi joyeux qu’une naissance, si on se se?pare du sentiment de culpabilite? qui nous vient pre?cise?ment de ces e?poques de contro?le et de surveillance, et qui encore aujourd’hui nous accompagne lorsqu’on nous fait e?couter le coeur du foetus ou que l’on nous demande de bien re?fle?chir avant d’avorter. Ce qui semble assez e?tonnant, c’est que depuis les anne?es 70 dans le sillage des pratiques militantes, on peut voir que les femmes partagent e?norme?ment autour des questions de sexualite?, de maternite?, qu’il y’a une sorte de solidarite? et de sororite? autour de ces questions, mais que pour les hommes il y a beaucoup moins d’espaces de partages, de questionnements, qui leur permettent de se re?approprier les sphe?res du care (du soin), de re?fle?chir a? de?construire la masculinite?. Il nous semble que, plus que de re?soudre la question de la procre?ation par des machines, bien que cela puisse e?tre inte?ressant pour certain.e.s., il faudrait surtout repenser les repre?sentations du maternage, de la division sexuelle de certaines ta?ches, du couple he?te?ronorme? et exclusif qui accompagne force?ment dans l’imaginaire la venue d’un enfant. Mais il s’agit aussi de re?affirmer que des ta?ches, traditionnellement de?voue?es aux femmes, sont primordiales pour envisager nos socie?te?s et peuvent permettre une certaine autonomie face au capital. Conserver des graines, cultiver, e?lever des enfants ou soigner est tout aussi prenant et inte?ressant que de s’inse?rer dans le monde marchand.
Vous e?voquez les fe?ministes des anne?es 70…et nous nous posons une question pre?occupante : le fe?minisme, selon vous, a-t-il recule? depuis, au final? Si la femme d’aujourd’hui, dans de nombreux pays, semble pouvoir s’affranchir plus librement d’un grand nombre de cliche?s qui ont toujours e?te? lie?s a? la Femme, n’est-ce qu’une illusion politique? Les mentalite?s ont-elles vraiment e?volue?? Quel est votre regard sur la re?elle e?volution des mentalite?s aujourd’hui, vous qui e?tes au coeur de cette re?flexion?
Au cours des anne?es 70, il y a eu une tre?s grande effervescence politique et fe?ministe parce que les femmes avaient aussi a? re?gler leurs comptes avec un patriarcat extre?mement puissant, il y avait la ne?cessite? d’un vrai renversement. Aujourd’hui un certain fe?minisme s’est institutionnalise? et a perdu de son pouvoir de subversion, et qui plus est, nous n’avons plus, en France par exemple, a? nous battre pour des droits aussi essentiels que celui d’avorter. Mais c’est aussi qu’il n’y a pas une femme mais des femmes, prises dans des contextes ge?opolitiques extre?mement diffe?rents, et qui doivent travailler de manie?res diffe?rentes a? leur autonomisation, a? leur empowerment. Nous avons croise? au fil de nos recherches beaucoup de collectifs de jeunes femmes qui re?e?ditent des textes des anne?es 70 en y ajoutant des expe?riences spe?cifiques lie?es a? notre e?poque, aujourd’hui les luttes fe?ministes de?coloniales sont extre?mement vivantes et viennent re?introduire de l’enjeu et des questionnements nouveaux. En tous les cas, nous pensons qu’effectivement les tenants du patriarcat continuent d’avoir du pouvoir et de tenter par tous les moyens de perpe?tuer leur domination, mais nous pensons aussi que les fe?minismes sont tre?s vivants, telles ces figures de sorcie?res qui nous ont accompagne?es pour “Le monde renverse?”, elles agissent dans l’ombre, sous couvert, et tiennent les cle?s des me?tamorphoses.
[bt_quote style=”default” width=”0″]Il nous semble e?vident que tant que nous n’inventerons pas une alternative au capitalisme sauvage qui devient la norme absolue, il est impossible de penser une libe?ration des femmes effective et pe?renne. Ce dont nous sommes certaines, c’est que cette libe?ration doit se faire en lien avec les marges, les trans, les racise?.e.s, les homos … et ne pourra se faire sans la de?construction d’un syste?me dont le fonctionnement profite de ces rapports de dominations. [/bt_quote]
LE MONDE RENVERSÉ
De et avec : Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui
Dramaturgie : Guillaume Cayet
Chorégraphie : Marjorie Dupré
Construction : Alexis Forestier
Régie générale : Clémentine Gaud
Maquillage : Cécile Kretschmar
Construction : Itto Mehdaoui
Regard extérieur : Maurin Ollès
Création lumières : Clémentine Pradier
PRODUCTION : Collectif Marthe
©Dorothe?e The?bert Filliger
Dates et lieux des représentations:
– Du 12 au 15 mars 2019 au Théâtre des 13 Vents – Domaine de Grammont, Avenue Albert Einstein, 34965 Montpellier – Téléphone : 04 67 99 25 25
– Du jeu. 09/05/19 au ven. 10/05/19 à La Passerelle – Gap – Tel. +33 (0)4 92 52 52 52
– Du mer. 15/05/19 au ven. 24/05/19 aux Célestins, Théâtre de Lyon – Tel. +33 (0)4 72 77 40 00

