Par Christian Kazandjian – Lagrandeparade.fr/ Avec “Tu seras coupable ma fille”, Les oiseaux de nuit offre une rĂ©flexion sur la difficultĂ© dâ€™Ăªtre femme dans nos sociĂ©tĂ©s. Avec humour et sĂ©rieux.
« La femme est l’avenir de l’homme » disait le poète. Elle est Ă©galement son passĂ© et son prĂ©sent. C’est dans ces deux dernières dimensions que nous emmène la compagnie Les oiseaux de nuit. Sur une scène dĂ©pouillĂ©e, les quatre comĂ©diennes narrent la difficultĂ© dâ€™Ăªtre femme dans nos sociĂ©tĂ©s. Pour cela, elles convoquent diffĂ©rentes victimes des prĂ©jugĂ©s machistes et patriarcaux : Jeanne d’Arc, Marie Antoinette, Violette Nozière, Pauline Dubuisson et leur grande ancĂªtre, Eve. Qu’elles aient Ă©tĂ© meurtrières, comme Violette et Pauline, ou victimes, elles ont affrontĂ© les foudres d’une morale Ă©dictĂ©e par ces messieurs. La presse au XXe siècle, la vox populi avant, les avaient condamnĂ©es avant mĂªme que se prononce la justice. Coupables de par leur sexe, elles ne pouvaient quâ€™Ăªtre condamnĂ©es, sans nuance, sans circonstances attĂ©nuantes ou si peu. Jeanne, la pastourelle fut vouĂ©e au bĂ»cher pour avoir revĂªtu l’habit masculin et pour hĂ©rĂ©sie – les voix divines l’enjoignant de « bouter l’Anglais hors de France » : crime abominable, cachant, en fait, sa valeur de combattante victorieuse et de meneuse d’hommes. D’hommes, vous rendez-vous compte ? Que Violette Nozière et Pauline Dubuisson aient eu Ă subir la violence des hommes de leur entourage ne pouvait excuser leur geste : se dĂ©fendre des agressions. Cela nous ramène Ă aujourd’hui oĂ¹ l’on condamne Ă une lourde peine de prison -commuĂ©e par la grĂ¢ce d’un prĂ©sident- Jacqueline Sauvage. Elle a abattu son Ă©poux auteur de viols rĂ©pĂ©tĂ©s sur elle et ses filles. L’homme passant de bourreau Ă victime par le truchement d’un jugement. Quel aurait Ă©tĂ© le verdict si les rĂ´les avaient Ă©tĂ© inversĂ©s ? Mais poser la question signale le malaise qui traverse nos sociĂ©tĂ©s, peu enclines Ă imposer l’égalitĂ© entre les sexes, sur le plan salarial ou des mÅ“urs.
A cĂ´tĂ© de ces cas douloureux, il est Ă©galement question du traitement mĂ©diatique fait Ă l’épouse d’un chanteur rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©, Ă la dame d’un prĂ©sident, affublĂ©e de noms d’oiseaux, comparĂ©es Ă des striges profiteuses et avides. On ne saurait toutefois les comparer aux dramatiques cas prĂ©cĂ©dents. Quant Ă Marie Antoinette, doit-on rappeler que c’est en sa qualitĂ© de reine qu’elle dut son exĂ©cution. QualifiĂ©e, certes de putain entre autres attributs, elle se devait de partager le sort de Louis XVI : il Ă©tait en effet nĂ©cessaire de se dĂ©barrasser de la royautĂ©, symbole de l’injustice, du mĂ©pris du peuple, pour mettre bas un ancien rĂ©gime oĂ¹ un duc, une comtesse pouvait faire pendre, sans autre forme de procès, un serf coupable d’avoir « volĂ© » un peu de bois.
Les quatre jeunes comĂ©diennes affichent une pĂªche bienvenue, passant d’un personnage Ă l’autre, d’une Ă©poque Ă l’autre, d’un simple changement d’accessoire. On rit : les anachronismes verbaux et vestimentaires – Sainte Marguerite, en talons aiguille, fume clope sur clope entre deux conseils Ă Jeanne-y sont pour beaucoup ; mais aussitĂ´t on grince devant l’injustice faite aux hĂ©roĂ¯nes malgrĂ© elles. Femme, on est coupable de mère en fille, depuis Eve. Mais, oĂ¹ est le tĂ©moin qui affirmera que ce n’est pas Adam qui le premier croqua dans la pomme ? Un spectacle vivifiant et utile Ă l’heure oĂ¹, en France, tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou amant, sans que cela enflamme les mĂ©dias.
Tu seras coupable ma fille
Création collective de la compagnie Les oiseaux de nuit.
Pour en savoir plus : www.lesoiseauxdenuit.com
Crédit-photo : Marie Perret

