Par Julie Cadilhac – Lagrandeparade.fr/ Paris. A quarante-huit ans, Enide tombe enceinte pour la première fois, provoquant la joie de son époux Honorat. Pourtant, lorsque Déodat nait, même sa mère ressent de l’épouvante face à ce “bébé-vieillard” au physique répugnant. Cependant, très vite, il apparaît qu’il était pourvu d’autres qualités non négligeables : ” l’enfançon avait cette forme supérieure d’intelligence que l’on devrait appeler le sens de l’autre. L’intelligence classique comporte rarement cette vertu qui est comparable au don des langues : ceux qui en sont pourvus savent que chaque personne est un langage spécifique et qu’il est possible de l’apprendre, à condition de l’écouter avec la plus extrême minutie du coeur et des sens. C’est aussi pour cela qu’elle relève de l’intelligence : il s’agit de comprendre et de connaître. Les intelligents qui ne développent pas cet accès à autrui deviendront, au sens étymologique du terme, des idiots : des êtres centrés sur eux-mêmes. L’époque que nous vivons regorge de ces idiots intelligents, dont la société fait regretter les braves imbéciles du temps de jadis”. Déodat grandit, choyé par ses parents, surprenant de sensibilité. A l’école, il fait preuve de courage et d’une distanciation étonnante de maturité vis à vis de ses camarades qui ne l’épargnent point…et puis à l’adolescence, il devient sans n’y rien comprendre un séducteur patenté. Son étrangeté fascine…jusquà ce qu’il réalise que l’étude des oiseaux est une activité bien plus aisée qu’une femme amoureuse à comprendre…
Barbe Bleue : un conte revisité à l’encre d’or Amélie Nothomb sait tenir en haleine son lecteur et dans ce Barbe Bleue, elle ne faillit pas. Campant des personnages haut en couleurs, elle ménage un roman qui s’apparente à une pièce de théâtre tant tout se joue dans les dialogues. Y babille ou s’affronte, selon les heures, un duo tonique : Saturnine et Don Elemirio, une roturière belge et un noble espagnol. Utilisant la trame narrative du conte traditionnel, l’auteure y insère de nombreuses fantaisies et le remanie à la sauce moderne. Si le conte de Perrault enseignait aux jeunes femmes le devoir d’obéissance à leur mari, Amélie Nothomb distille entre les lignes un vent de liberté salvateur et Saturnine devient l’incarnation de la femme indépendante refusant tout joug, même amoureux. Don Elemirio n’a pas une barbe bleue et n’est pas repoussant mais il punit comme celui de Perrault au XVIII ème siècle la curiosité des jalouses , s’octroie impunément un droit de vie ou de mort sur ses épouses et interroge le lecteur sur la question de la confiance et du pardon. Résidant dans la demeure d’un aristocrate au mode de vie fort excentrique , Saturnine, jeune femme de tête, ne peut que s’interroger sur tous les ragots glaçants racontés au sujet de Don Elemirio, personnage mystérieux qui s’est coupé du monde depuis de nombreuses années : a-t-il vraiment tué les huit précédentes colocataires qui ont occupé avant la chambre de Saturnine? comment? Où ont elles disparu? Les réponses, vous le constaterez vous même, sont aussi stylistiques que narratives, aussi philosophiques qu’émotionnelles et le plaisir aussi ! Une prose enlevée et spirituelle , des dialogues ciselés, une touche de nuances délicieuses, de l’or et du champagne pour éclairer l’ensemble d’une lumière sacrée … Quand le morbide et l’amour s’étreignent en un baiser romanesque éclôt une récréation livresque que l’on vous conseille assurément !
[bt_quote style=”default” width=”0″]Je suis l’un des célibataires les plus convoités au monde. C’est aussi pour cela que je ne sors plus de chez moi. Dans chaque réception mondaine, une embuscade de femmes m’attend. C’est pathétique.[/bt_quote]
Barbe Bleue d’Amélie Nothomb
Editions : Albin Michel
En Livre de poche depuis janvier 2014.
Illustration: Arnaud Taeron- le site

